La rue ne fait pas d’enfants !

Article : La rue ne fait pas d’enfants !
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17 avril 2013

La rue ne fait pas d’enfants !

A Dakar, un incendie dans le quartier de la Médina, dans la nuit du dimanche 4 mars 2013, a coûté la vie  à neuf  personnes dont 7 talibés* (enfants-mendiants) ainsi qu’un brûlé grave. Les victimes sont tous des enfants dont le plus âgé n’avait que 12 ans. Je suis au Cameroun et cette actualité me bouleverse. Ah, le Sénégal! J’y vois que Chidid, Youssou N’dour…

Anta Mbow Directrice de l'empire des enfants Sénégal - (Crédit Photo Danielle Ibohn)
Anta Mbow Directrice de l’empire des enfants Sénégal – (Crédit Photo Danielle Ibohn)

 

Nous sommes le 7 Avril et le Sénégal est sous le choc!

Pour écrire ce billet, je m’y suis prise trois fois. Je ne me sens pas légitime de parler des enfants de la rue. J’en suis pas une. J’ai rencontré Anta Mbow, directrice de l’Empire des enfants après cette tragédie. J’étais choquée par ce fait divers et même temps je me suis sentie à ma place. Je sais : bizarre et pourtant!

Ce sentiment, je le connais un peu trop bien. Comment peut-on abandonner son enfant ? C’est la question à laquelle je cherchais des réponses. Avec Anta et ses dizaines années d’expériences , j’ai eu mes réponses.

Au Cameroun, on les appelle les EDR (les enfants de la rue).  En 2011, selon des enquêtes réalisées par le Ministère des affaires sociales (MINAS) à Douala, Yaoundé (Agglomération à fort taux de population), un peu plus de 46% des EDR sont le fruit de conflits familiaux. Vient ensuite la recherche du mieux-être (près de 35% d’enfants quittent leur foyer) et enfin l’exaltation pour l’aventure.  Le programme « Enfants de la rue » (EDR) du Mfoyer, c’est déjà  quelques 634 enfants identifiés, et près de 140 sortis de la rue à travers des programmes de réinsertion (les centres d’accueil et de prise en charge).

Moi, je suis une orpheline de père, de mère, de famille. Et lorsque Anta parle de ses petits fils (ses pensionnaires), je ne m’empêche pas de penser à ma mère. Son dévouement à nous garder, nous protéger. Ah! Ma mère! Anta parait elle.  En voulant les garder coûte que coûte, Anta ne déroge pas à la mission d’une mère. Il faut:

  • S’assurer qu’ils s’inserrent dans la cellule familiale;
  • Qu’ils ne reviennent plus dans la rue.

Ils ont de 5 à 15 ans. Et la rue ne fait pas de cadeau. Son association est donc devenue un refuge une institution pour la brigade des mineurs, les enfants des rues (Talibés).

Son bureau donne sur la cour, rangé à la va vite, sûrement dû aux visites inopinées de ses multiples de ses pensionnaires. Je ne peux m’empêcher en voyant ses 50 petits fils (Comme Anta les appelle affectueusement) de lui demander comment elle fait. Elle a ce souffle que  toutes les mères ont en s’adossant sur son siège. Elle parait chercher un appui. Cependant, son corps n’exprime pas la lassitude mais la rage.

Elle dit subvenir à leurs besoins grâce aux dons:

  • Celui des Sénégalais de bonne volonté,
  • Des associations aux USA, en France, interpellées par son site internet offert gracieusement par un des éducateurs français,
  • Les lions de la Teranga,
  • plus récemment une subvention de l’Etat

Il faut les nourrir, les doucher, les envoyer à l’école durant leur séjour à l’empire, payer l’électricité, gérer la négociation par des appels téléphoniques. C’est un coût.  Pas si facile, mais elle finit toujours par y arriver. Les mères c’est comme ça. Personne ne sait comment elles font, mais elles y arrivent. C’est une une lionne , comme toutes les mères d’Afrique, mais elle est de la Teranga.

En continuant à écrire ce billet, j’ai les larmes aux yeux… Je ne peux m’empêcher. Je vois son dévouement. C’est 1.800 petit fils déjà sauvés de la rue. Et si elle pouvait me sauver, moi. Si je pouvais l’avoir elle. Mes réponses, je les ai pas encore trouvées. Alors je me demande si je  devais pas lui poser la question. Comment fait-on pour se réinsérer dans la société ? Anta me demande alors d’aller voir Cheikh Sall: l’éducateur.

Cheick Fall, l'educateur de l'empire des enfants - Sénégal (Crédit Photo Danielle Ibohn)
Cheikh Sall, l’éducateur de l’empire des enfants – Sénégal (Crédit Photo Danielle Ibohn)

 

Il a le même âge que moi… Ses 1m80, son coté protecteur me rassurent. Je comprends pourquoi c’est lui et pas quelqu’un d’autre. Je suis toute de suite à l’aise avec lui. Il me révèle que pour les réinsérer, il faut mettre les enfants en confiance. C’est tout.

Au travers des jeux, les enfants sont mis en scènes. Et le fait d’être mis en scène les rend confiant. Il peuvent se réinsérer par conséquent. J’ai eu ma réponse. J’écris parce que je me guéris sans le savoir. Et l’écriture me met en scène et je prends confiance.

En quittant l’empire des enfants, je suis heureuse. Et j’ai  ces paroles d’Anta en fond sonore:

« La rue ne fait pas d’enfants. Les talibés (Enfants-mendiant) sortent des dara (école coranique) de mauvais marabouts. Parce que leurs parents ont juste baissé les bras, ils n’ont pas abandonné. Le 17 mai 2013 prochain, je fêterais mes 10 ans et c’est dix ans de trop. Il faut AGIR. »

Selon l’ONG Human Rights Watch, au moins 50.000 enfants fréquentent des écoles coraniques dans des conditions qui s’apparentent à de l’esclavage.

La salle d'informatique de l'empire des enfants-Sénégal (Crédit Photo Danielle Ibohn)
La salle d’informatique de l’empire des enfants-Sénégal (Crédit Photo Danielle Ibohn)

Allez,

Son’a ponda  Bathi-kaname (A bientôt en Wolof)

*Talibés : nom donné normalement à l’élève coranique, mais nom qui désormais désigne le plus souvent, un enfant en guenilles qui passe sa journée à mendier.

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Commentaires

Josiane Kouagheu
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Je comprends pourquoi tu m'as dit que ce billet allait te révéler Danielle. Tu sais la vie est tellement courte et il faut en profiter. Et se dévoiler aide parfois l'autre à se reconstruire. J'en connais qui auront besoin de ce billet pour se relever. Courage à toi. Moi je sais ce que c'est d'être orpheline, je sais la peine que l'on ressent et cette impression d'être sans support, sans soutien, je connais. Tiens bon, l'avenir est devant pas derrière. Et à tous ces talibés, je leur redis la même chose... Demain est un nouveau jour. L'avenir est fier comme le lever du jour. Il brille pour tout le monde...Courage Anta Mbow, courage Cheukh Fall. Beau billet

Limoune
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Tu nous donne à voir un travail remarquable fait par cette femme et son équipe. Merci

Danielle Ibohn
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:-)

Mylène
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Je suis très émue par ton texte. Je t'ai comprise, entre les lignes... C'est grâce à de tels gens, leurs paroles et actions, que l'on (enfants comme adultes) peut aussi continuer d'avancer.

Lionel-Girard
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J'ai souvent fais mon possible pour participer à l'aide de cette jeunesse, ces petits frere abandonnés. Et chaque fois que je lis un article du genre, je reste touours désemparé et remplis de cette idée de n'avoir encore rien fait, tellement il ya à faire, d'etre au point zero.
Une fois de plus mon ame pleure, une fois de plus mon coeur saigne, Tenons nous la main, et pensons à cette afrique de demain, que dis-je, pensons à ce monde de demain, car l'avenir se trouve dans le coeur de ceux là.
Pensons-y ... Merci Dany.

Florian Ngimbis
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Emouvant. j'aime beaucoup!

Danielle Ibohn
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J'ai vraiment du mal avec cet article! Alors je le commenterais pas. Merci Josiane, Mylène, Limoune, Leo et florian d'avoir commentés! Voilà!

Bisou Mbangué
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Merci ce billet montre à quel point l'on peut se meprendre. Nous stéreotypons ces innocents sans toutefois chercher à comprendre les causes les ayant mené à la rue. Cette dame a du courage et comme tu le dis si bien c'est une lionne et nous savons ce dont sont capables ces mammifères. Elle le prototype de la mère africaine. Merci à toi Dany et sois forte car je comprends également son ressentiment.

Danielle Ibohn
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Merci bisous c'est gentil!

Réndodjo Em-A Moundona
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Le titre a tout dit. C´est un billet émouvant Danielle.

Danielle Ibohn
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Merci ladyyyyyyyyyyyyy hihihihi

Boukari Ouédraogo
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La rue ne fait pas d'enfant mais je pense qu'elle les adopte.

Danielle Ibohn
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oui je le pense aussi. Mais la rue ne devrait pas être les parents d'un enfant

Nasser
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Dernièrement lorsque je suis allé à Maroua, mon cœur a failli sortir de sa cage thoracique lorsque j'ai vu ces enfants maltraités par leurs enseignants d'école coranique.
Leurs parents pensent qu'ils étudient pourtant ils sont condamnés à la mendicité.
Leurs parents leur envoient de quoi survivre et leurs enseignants les avalent!
Plus grave encore, ce fléau encourage les non-musulmans à insulté l'islam, quel honte!

Danielle Ibohn
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Témoignage poignant Nasser! Savait pas de telles choses se passaient au pays. Y a t-il des associations qui se battent pour eux à Maroua? T'en connais? Prochainement que tu y vas renseigne toi s'il te plait! GOD!

Samvick
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Danielle, j'ai passé un temps à Dang lors de mon séjour universitaire à Ngaoundéré. Je ne veux offensé personne mais je pense que le coran que je ne maîtrise pas a été mal interprété par beaucoup. Qui estime que la mendicité est prescrite par la religion. J'ai en vu des scènes dans nos mini-cités; un enfant qui pendant qu'il vend à la sauvette de la tomate dans les cités va cogner de portes en portes mendier. Tu l'aides et quand tu sors, tu le retrouves chez le voisin continuant à mendier au profit d'un père qui attend le butin à la maison ou qui est sorti mendier lui même. Comment peut-on vendre et mendier? Il faut arrêter l'un au profit de l'autre.
Pour revenir donc en disant que ces enfants là sont à exclure de ceux de la rue car ils sont logés, nourris et des fois scolarisés

Kiko
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Par malheur, ceci non seulement se produit dans les écoles coraniques, le problème est beaucoup plus profond. Dans les écoles catholiques, principalement celles qui reprennent à des enfants, je n'aime pas dire de la rue, menacés socialement, souffrent et souffrent toutes les vexations, selon l'enseignant de tour.
Tous les enfants, dis tous les enfants du monde, ont le droit d'être socialement protégés, si ses pères ne peuvent pas, par l'état et être nourri, instruit et développé pour faire de d'eux des personnes d'ordre et avec des principes.
Les éducateurs sont primordiaux, ne sert pas quelqu'un, Danta a le profil qui est requis, et ce qui est laïques beaucoup mieux que ce qui est religieux.

Neo
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Très beau billet Danielle,

J'ai eu la chance d'avoir des parents formidables mais pour avoir côtoyé beaucoup d'orphelins durant mon adolescence, je qui particulièrement sensible à cette question.

En ce moment, je travaille avec une amie à un projet en vue de contribuer à cette grande cause: KidsneedUs.org

J'ai toujours en tête cette phrase de JFK "one person van mâle à différence and everyone should try".

Neo
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"One person can make a difference and everyone should try"

Ameth DIA
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Je comprends mieux pourquoi ce thème t'intéressait autant. Et surtout pourquoi tu a pris autant de temps pour le publier. Merci à toi de nous avoir fait découvrir cette partie de ta vie que l'on ignorait tous.
"La rue ne fait pas des enfant", quelle belle phrase!!!
Ps: tu me manques grave ma binôme :-)

Nasser
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Samvick le coran est contre la mendicité et ordonne aux riches d'aider les pauvres. y'a un verset qui condamne la mendicité.

Salma Amadore
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Danielle tu sais l faut juste savoir tirer le bon de nos expériences tu vois que mm sans eux tu es une fille forte et tu sais te battre cet article a juste secouer ce que tu as gardé au fond. bel article